Les dépenses de sécurité sociale vont‐elles de pair avec de meilleurs résultats des entreprises? Étude de cas sur les PME indonésiennes

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12161
Published date01 September 2020
Date01 September 2020
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
*Université de Roskilde, Danemark, ninatorm@ruc.dk. L’auteure dédie cet article à son regretté
père, Ue Torm, qui a commencé sa carrière dans le domaine du développement international en
1970, en tant que premier représentant de la jeunesse du Danemark auprès de l’Assemblée géné-
rale des Nations Unies. C’est grâce à lui qu’elle a pu découvrir plusieurs pays du monde et qu’elle
s’est initée à l’action pour le développement. Son exemple continuera de la guider dans la suite de
sa carrière et de ses recherches. L’auteure remercie également Celine Peyron Bista, Ippei Tsuruga,
Grace Monica Salim et Gregoire Yameogo pour leurs contributions et commentaires précieux, et leur
aide à l’interprétation des données brutes fournies par BPS, l’institut indonésien de la statistique.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 3
Les dépenses de sécurité
sociale vont-elles de pair
avec de meilleurs résultats
des entreprises? Étude de cas
sur les PME indonésiennes
Nina TORM*
Résumé. Le lien entre protection sociale et résultats des entreprises est abon-
damment étudié, mais on manque d’informations sur la situation des petites et
moyennes entreprises des économies en développement. L’auteure examine ce lien à
partir de données de recensement indonésiennes portant sur la période 2010-2014.
Elle constate que, lorsque les dépenses de sécurité sociale augmentent de 10pour
cent, le chiffre d’affaires par travailleur progresse de 2pour cent. De même, l’ex-
tension de la couverture sociale n’entraîne pas de baisse du bénéfice, ce qui laisse
penser que les entreprises pourraient avoir intérêt à investir dans la sécurité so-
ciale de leur personnel.
Mots-clés: cotisati ons de sécu rité sociale, petites e t moyennes ent reprises,
résultats de s entreprises, pays en développe ment, Indonésie, é tude de cas.
1. Introduction
La recommandation (no 202) sur les socles de protection sociale adoptée en
2012 par l’Organisation internationale du Travail (OIT) consacre l’impor-
tance des socles nationaux de protection sociale et rappelle que l’objectif prio-
ritaire doit être de garantir à tous un accès eectif à un ensemble de soins
de santé essentiels et à un minimum de revenu (BIT, 2012). Elle constitue le
Revue internationale du Travail
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premier instrument juridique international qui reconnaisse expressément que
la sécurité sociale joue un triple rôle, puisqu’elle est à la fois un droit de la per-
sonne universel, une nécessité économique et une nécessité sociale (BIT, 2014).
De même, le rapport sur la protection sociale dans le monde2014/15 – qui est
le tout premier rapport de son espèce – défend l’idée que la protection sociale
doit être une composante importante du programme de développement pour
l’après-2015 (ibid.)
1
, et le Programme de développement durable à l’horizon2030
réarme la volonté de mettre en place des systèmes de sécurité sociale, notam-
ment des socles (BIT, 2017). Ce mouvement récent en faveur de l’instauration
d’une protection sociale universelle a également fait émerger des approches in-
novantes dont le but est d’adapter les systèmes de protection sociale existants
pour qu’ils tiennent mieux compte des diérentes formes d’emploi (dont l’emploi
informel) et favorisent le passage de l’économie informelle à l’économie formelle
(Behrendt et Nguyen, 2018; BIT, 2016, 2017 et 2018)2.
Des associations régionales se sont elles aussi engagées à agir en faveur
de la protection sociale. C’est notamment le cas de l’Association des nations de
l’Asie du Sud-Est, plus connue sous son acronyme anglais ASEAN (Association
of Southeast Asian Nations), qui a adopté en 2013 la Déclaration sur le renfor-
cement de la protection sociale. Même s’il existe de fortes disparités au sein de
l’ASEAN en matière de protection sociale, la plupart de ses pays membres, dont
l’Indonésie, sont dotés d’un régime d’assurance sociale contributif destiné aux
travailleurs de l’économie formelle. Ainsi, en Indonésie, en Malaisie, aux Phi-
lippines, à Singapour et au VietNam, environ la moitié de la population active
est aliée à un régime de retraite ou à un fonds de prévoyance (Ong et Peyron
Bista, 2015). Pour continuer d’étendre et d’améliorer la couverture, il est cepen-
dant nécessaire de disposer de davantage d’informations sur la corrélation entre
l’existence de dispositifs de sécurité sociale nancés par les cotisations des em-
ployeurs et les résultats des entreprises, en particulier pour les microentreprises
et les petites et moyennes entreprises (MPME)3. En Indonésie, les MPME repré-
sentent plus de 99pour cent de l’ensemble des entreprises et emploient environ
97pour cent de la population active totale. Elles sont donc de véritables moteurs
de développement économique et ont été à l’origine d’environ 60,3pour cent du
produit intérieur brut (PIB) indonésien en 20164. En outre, leur nombre est en
hausse constante: il a par exemple progressé de 2,3pour cent au cours du seul
troisième trimestre2017 (BPS, 2017).
1 Le rapport sur la protection sociale (BIT, 2014 et 2017) a notamment vocation à permettre
un suivi de la mise en œuvre de la recommandation (no202) sur les socles de protection sociale,
2012.
2 En 2015, la Conférence internationale du Travail a adopté la recommandation no 204 sur la
transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Par ailleurs, le Bureau international
du Travail (BIT) a élaboré un guide sur l’extension de la protection sociale à l’économie informelle
(BIT, 2019).
3 Même s’il est pertinent de parler de MPME dans le cas de l’Indonésie, les données sur les-
quelles porte notre article ne concernent que les petites et moyennes entreprises (PME). Dans cet
article, nous utilisons l’un ou l’autre de ces deux termes selon le contexte.
4 Site Internet du ministère des Entreprises coopératives et des PME, www.depkop.go.id [consulté
le 14 mai2020].
Dépenses de sécurité sociale et résultats des entreprises 375
Malgré leur poids économique, les petites entreprises, en particulier celles
du secteur informel, se heurtent à diverses dicultés, si bien que les travail-
leurs qu’elles emploient n’ont généralement qu’un accès limité à la sécurité so-
ciale. Plusieurs facteurs concourent à expliquer cette situation, à commencer par
l’hésitation des employeurs à investir dans leurs ressources humaines, d’autant
que les PME n’ont souvent qu’une visibilité à court terme sur leurs perspectives
d’activité. De leur côté, les travailleurs peuvent eux aussi être réticents à coti-
ser à l’assurance sociale s’ils n’ont pas le sentiment d’en retirer des avantages
immédiats et n’éprouvent pas d’aversion au risque. Sans doute les prestations
de sécurité sociale correspondraient-elles à une réalité plus tangible pour eux
si elles étaient analysées comme une forme de rémunération. De même, elles
seraient peut-être plus acceptables pour les employeurs s’ils avaient conscience
que, en l’absence de cotisations, ils seraient obligés– à tout le moins en théorie–
de verser des salaires plus élevés.
Autre facteur de nature à limiter l’ore de protection sociale: le manque
d’information sur les régimes existants et la méconnaissance du cadre juridique.
Le gouvernement indonésien a mené des actions de sensibilisation et s’est mo-
bilisé pour étendre l’assurance sociale aux MPME – y compris à celles du sec-
teur informel – en s’appuyant sur des régimes facultatifs. Bien que l’accès à la
protection sociale soit à la fois un droit fondamental de la personne et l’une des
obligations essentielles des pouvoirs publics et des employeurs, il existe peu de
données concrètes permettant d’en évaluer les retombées positives pour les en-
treprises, en particulier les petites entreprises.
Dans le cas du Viet Nam, les données montrent que les entreprises qui
accèdent au secteur formel voient leurs bénéces progresser et recrutent da-
vantage de travailleurs permanents (Rand et Torm, 2012). En outre, dans les
entreprises du secteur formel, l’augmentation du pourcentage de salariés dotés
d’une couverture sociale va de pair avec une hausse du chire d’aaires et du
bénéce par travailleur, en particulier à long terme (Lee et Torm, 2017)5.
Dans cette étude sur l’Indonésie, nous adoptons une méthode similaire à
celle employée par Lee et Torm (2017) et constatons que, lorsque les entreprises
augmentent de 10 pour cent leurs dépenses de sécurité sociale par travailleur,
leur chire d’aaires connaît une hausse comprise entre 0,4 et 1 ,8pour cent
selon la spécication du modèle. Par ailleurs, rien n’indique que le versement
de cotisations de sécurité sociale se traduise par une diminution du bénéce
par travailleur, à tout le moins quand les facteurs non observés spéciques à
l’entreprise sont pris en compte.
La suite de l’article est organisée comme suit: la deuxième partie est consa-
crée à une revue sélective de la littérature et la troisième à une description du
contexte indonésien; dans la quatrième partie, nous exposons les données et va-
riables incluses dans l’analyse empirique réalisée pour les besoins de l’étude,
tandis que dans la cinquième nous décrivons la méthodologie utilisée. Nous pré-
sentons les résultats, notamment les tests de robustesse, dans la sixième partie
avant de conclure et de formuler des recommandations pour les pouvoirs publics.
5 Le Viet Nam, qui a récemment ramené de trois à un mois la durée d’aliation minimale à
laquelle est subordonnée l’ouverture des droits à l’assurance sociale, constitue un bon exemple de
la voie à suivre pour améliorer la couverture des travailleurs temporaires (BIT, 2 018).

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