KATTE KLITSCHE DE LA GRANGE v. ITALY

Judgment Date27 October 1994
ECLIECLI:CE:ECHR:1994:1027JUD001253986
Respondent StateItalia
Date27 October 1994
Application Number12539/86
CourtChamber (European Court of Human Rights)
CounselN/A
Applied Rules6;6-1;35;35-1;P1-1;P1-1-1
Official Gazette Publication[object Object]



En l'affaire Katte Klitsche de la Grange c. Italie*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,

conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde

des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")

et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre

composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

F. Gölcüklü,

C. Russo,

R. Pekkanen,

A.N. Loizou,

J.M. Morenilla,

F. Bigi,

Sir John Freeland,

M. J. Makarczyk,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 avril et

19 septembre 1994,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

_______________

Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 21/1993/416/495. Les deux premiers chiffres

en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la

place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur

celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour

avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci,

aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole

(P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983

et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

_______________

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne

des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 juillet 1993, puis par

le gouvernement de la République italienne ("le Gouvernement") le

27 juillet 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les

articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son

origine se trouve une requête (n° 12539/86) dirigée contre l'Italie et

dont un ressortissant de cet Etat, M. Adolfo Katte Klitsche de la

Grange, avait saisi la Commission le 10 novembre 1986 en vertu de

l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48

(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant

la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la

requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47,

art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de

savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat

défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention et 1 du Protocole n° 1 (P1-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du

règlement A, la veuve et les deux fils de M. Katte Klitsche de la

Grange, décédé le 31 décembre 1989, ont manifesté le souhait de voir

la procédure se poursuivre - comme déjà devant la Commission - et d'y

participer en se faisant représenter par l'avocat qu'ils avaient nommé

(article 30). Pour des raisons d'ordre pratique, le présent arrêt

continuera d'appeler M. Katte Klitsche de la Grange le "requérant" bien

qu'il faille aujourd'hui attribuer cette qualité à Mme Cocchi et à ses

deux fils (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Raimondo c. Italie

du 22 février 1994, série A n° 281-A, pp. 1-2, par. 2).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo,

juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention)

(art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21

par. 3 b) du règlement A). Le 25 août 1993, celui-ci a tiré au sort

le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü,

M. N. Valticos, M. A.N. Loizou, M. J.M. Morenilla, M. F. Bigi,

Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier

(articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A)

(art. 43). Ultérieurement, M. R. Pekkanen, suppléant, a remplacé

M. Valticos, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5

du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du

greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué

de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure

(articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en

conséquence, le greffier a reçu les 11 et 20 janvier 1994 les mémoires

du requérant et du Gouvernement. Par une lettre du 21 mars 1994, le

secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait

de vive voix.

5. Le 19 novembre 1993, la Commission avait produit le dossier

de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur

les instructions du président.

6. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier - qui avait autorisé le

conseil du requérant à employer la langue italienne (article 27

par. 3 du règlement A) -, les débats se sont déroulés en public

le 18 avril 1994, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La

Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. G. Raimondi, magistrat détaché au service du

contentieux diplomatique du ministère

des Affaires étrangères, coagent,

Me M.A. Lorizio, avocate, conseil,

M. L. Annibali, secrétaire de la mairie de Tolfa, conseiller;

- pour la Commission

M. B. Marxer, délégué;

- pour le requérant

Me R. Scarpa, avocat, conseil,

MM. M. Valentini, avoué,

N. Katte Klitsche de la Grange, conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations et plaidoiries

M. Raimondi et Me Lorizio, M. Marxer et Me Scarpa, ainsi que

Mes Lorizio et Scarpa en leurs réponses à ses questions.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Avocat, M. Adolfo Katte Klitsche de la Grange habitait Rome

jusqu'à son décès, le 31 décembre 1989.

Il possédait une grande partie du parc de Cibona, situé sur

le territoire des communes d'Allumiere et de Tolfa (province de Rome).

La présente affaire ne concerne que les terrains situés dans cette

dernière, à savoir 68,87 hectares de forêt, de terres agricoles et

"stériles" et de prairies.

8. Le 9 juillet 1966, le conseil municipal de Tolfa approuva, à

l'unanimité, un projet de lotissement dudit parc, présenté par le

requérant, ainsi que le texte d'une convention destinée à régler,

notamment, la répartition des charges financières pour la réalisation

des infrastructures nécessaires à l'opération.

9. Le 18 novembre 1967, la Commission permanente pour

l'agriculture, les forêts et l'économie de montagne de la Chambre de

commerce de Rome autorisa le lotissement pour une superficie de

16 hectares en se réservant d'examiner une autre demande dès lors

qu'elle porterait sur tout le reste de la propriété. Le 15 mars 1968,

le ministère des Travaux publics informa la commune qu'il n'entendait

pas soulever d'objections à l'encontre de la proposition de convention.

10. Signée le 10 mai 1968, la convention exigeait "l'approbation

de l'autorité forestière pour la partie boisée restante des fonds de

l'intéressé" et "le respect des limitations découlant de toute autre

disposition législative qui devait être considérée intégralement

transcrite". Cette dernière réserve se référait notamment "à la loi

d'urbanisme [n° 1150 du 17 août 1942] et à ses modifications et ajouts

successifs", y compris la loi n° 765 du 6 août 1967 et l'arrêté

(decreto) du ministre des Travaux publics du 2 avril 1968, ainsi qu'aux

"lois en matière de protection des sites naturels et historiques".

M. de la Grange était en outre tenu d'accepter tout

"changement de la convention requis par la loi ou par des motifs

raisonnables et non controuvés d'intérêt public".

11. Le requérant entama alors la réalisation des infrastructures

nécessaires au lotissement (routes, recherche et adduction d'eau

potable, raccordement électrique, pose d'une ligne téléphonique,

égouts, etc.) et la transformation du bois de taillis en bois d'arbres

de haut fût.

De nombreuses parcelles du parc furent vendues - 130 sur

les 202 qu'il comptait - et les autorités compétentes accordèrent,

entre 1968 et 1976, 61 permis de construire, dont 3 à M. de la Grange.

12. Le 28 juin 1969, le conseil municipal de Tolfa adopta son plan

d'occupation des sols (le "POS"), qui excluait une partie des biens du

requérant de la zone dénommée RE1, destinée à la "construction

résidentielle".

13. Le 23 septembre 1974, M. de la Grange demanda au conseil

régional du Latium de corriger les planimétries annexées au POS en y

intégrant tous les terrains couverts par la convention de 1968. Le

conseil refusa le 18 juillet 1975. Dans sa décision, publiée le

20 octobre 1975, il précisait que rien n'empêcherait la commune de

Tolfa de prendre en considération une requête similaire lors de

l'adoption d'une variante éventuelle audit plan.

A. Les procédures devant les juridictions administratives

1. La procédure au fond

14. Le 14 février 1976, arguant du défaut de motifs d'intérêt

public justifiant les nouveaux choix de l'administration locale par

rapport à la convention de 1968, M. de la Grange s'adressa au tribunal

administratif régional (le "TAR") du Latium qui, le 14 juillet 1976,

annula le plan pour autant qu'il concernait la propriété du requérant.

15. Saisi par la commune de Tolfa, le Conseil d'Etat confirma le

jugement attaqué par un arrêt du 14 février 1978. La convention de

lotissement était valable aux termes de la législation en vigueur et

revêtait donc un caractère contraignant pour la commune. Celle-ci

gardait certes, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en

matière d'urbanisme, le droit de changer en tout ou en partie le POS,

mais elle était tenue de spécifier les motifs qui l'avaient amenée à

modifier ses choix antérieurs, choix qui avaient eu pour conséquence

de "consolider des positions juridiques dans le chef de personnes

privées". Or le plan litigieux était dépourvu d'une motivation idoine.

Les planimétries ne furent pas corrigées.

16. Le 15 mai 1979, en application de la loi régionale n° 43 du

2 septembre 1974 portant "Mesures pour la protection et le

développement du patrimoine boisé", le conseil régional du Latium

classa le parc de Cibona parmi les sites à protéger, interdisant

notamment la chasse et la pêche, la coupe d'arbres, l'ouverture de

carrières ainsi que toute construction.

17. Le 12 février 1980, M. de la Grange et certains des

propriétaires...

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