AFFAIRE VAQUERO HERNANDEZ ET AUTRES c. ESPAGNE

Judgment Date02 November 2010
ECLIECLI:CE:ECHR:2010:1102JUD000188303
Respondent StateEspaña
Date02 November 2010
Application Number1883/03;2723/03;4058/03
CourtThird Section (European Court of Human Rights)
CounselARGOTE ALARCON J. ; FUSTER-FABRA TORRELLAS J.M. ; LOZANO MONTALVO F.-J.
Applied Rules6;6-1;6-2;6-3
<a href="https://international.vlex.com/vid/convenio-europeo-libertades-fundamentales-67895138">ECHR</a>





TROISIÈME SECTION







AFFAIRE VAQUERO HERNÁNDEZ ET AUTRES c. ESPAGNE


(Requêtes nos 1883/03, 2723/03 et 4058/03)









ARRÊT



STRASBOURG


2 novembre 2010


DÉFINITIF


11/04/2011


Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 c) de la Convention.

Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Vaquero Hernández et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada,
greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 octobre 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes dirigées contre le Royaume d'Espagne, dont cinq ressortissants de cet État (« les requérants »), MM. Angel Vaquero Hernández, Enrique Dorado Villalobos et Felipe Bayo Leal (requête nº 1883/03), Enrique Rodríguez Galindo (requête nº 2723/03) et José Julián Elgorriaga Goyeneche (requête nº 4058/03), ont saisi la Cour les 14 et 22 janvier 2003 respectivement, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les trois premiers requérants (requête nº 1883/03) sont représentés par Me J. Argote Alarcón, avocat à Madrid. Le quatrième requérant (requête nº 2723/03) est représenté par Me J.M. Fuster-Fabra Torrellas, avocat à Barcelone. Le cinquième requérant (requête nº 4058/03) est représenté par Me F.-J. Lozano Montalvo, avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Blasco Lozano, chef du Service juridique des droits de l'homme au ministère de la Justice.

3. Les requérants s'estimaient victimes d'une violation du droit à un procès équitable devant un tribunal impartial et d'une atteinte au principe de la présomption d'innocence et aux droits de la défense.

4. Le 2 mai 2007, la cinquième section a décidé de joindre leurs requêtes (article 42 § 1 du règlement), de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la partialité de la procédure et de la présomption d'innocence ainsi que des droits de la défense et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus.

5. Le 1er février 2008, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une décision finale sur la recevabilité du 9 décembre 2008, la troisième section a déclaré irrecevable le grief des requérants relatif au prétendu manque d'impartialité et d'indépendance des juridictions internes. Les requêtes ont été déclarées recevables pour le surplus.

7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. MM. Angel Vaquero Hernández, Enrique Dorado Villalobos et Felipe Bayo Leal (requête nº 1883/03), ci-après les premier, deuxième et troisième requérants, sont des ressortissants espagnols nés respectivement en 1951, 1957 et 1960. A l'époque des faits, ils étaient respectivement lieutenant‑colonel, sergent et caporal dans la Garde civile. Le troisième requérant fut mis en retraite anticipée pour cause d'incapacité de travail en 1987.

9. Le quatrième requérant, M. Enrique Rodríguez Galindo (requête nº 2723/03), est né en 1939. A l'époque des faits, il était général dans la Garde civile.

10. Le cinquième requérant, M. José Julián Elgorriaga Goyeneche (requête nº 4058/03), est né en 1948. Il était, de 1982 à 1987, Gouverneur civil de Guipúzcoa et, de 1987 à 1989, délégué du Gouvernement dans la Communauté autonome du Pays basque.

A. La genèse de l'affaire

11. Le 20 janvier 1985, à Bussot (Alicante), deux cadavres furent trouvés et transférés au cimetière municipal d'Alicante.

12. Dix ans plus tard, le 15 mars 1995, à la suite d'informations parues dans la presse sur les Groupes Antiterroristes de Libération (ci-après « GAL »), la Police judiciaire diligenta une enquête au terme de laquelle les cadavres furent identifiés comme étant ceux de deux membres présumés de l'ETA disparus en octobre 1983, J.A. L. et J.I. Z.

B. L'instruction menée à l'encontre des requérants et le renvoi en jugement

13. En 1995, le juge central d'instruction nº 1 près l'Audiencia Nacional engagea une procédure pénale (dossier nº 15/1995) à l'encontre des cinq requérants, de Me J. Argote Alarcón, qui représentait les trois premiers requérants (ci-après « Me A.A.) (et qui les représente également devant la Cour dans la présente affaire) et de M. Vera (voir Vera Fernández-Huidobro c. Espagne, no 74181/01, 6 janvier 2010), pour assassinat et détention irrégulière, appartenance à une bande armée, coups et blessures, et torture.

14. Le 7 septembre 1995, le cinquième requérant, M. Elgorriaga, comparut de son propre gré devant le juge d'instruction, sans être assisté d'un avocat. Il fit, en tant que témoin, une déposition dans laquelle il déclara que les quatre premiers requérants et lui-même étaient innocents.

15. Le 18 décembre 1995, le troisième requérant fit, en tant que personne mise en cause, une nouvelle déclaration, dans laquelle il réaffirma son innocence et celle des autres requérants.

16. Le 25 avril 1996, le juge central d'instruction nº 1 accueillit de nombreuses preuves proposées par le ministère public et les autres parties accusatrices, notamment des dépositions de témoins, des confrontations et différents documents.

17. Le 9 mai 1996, le cinquième requérant fut cité en tant que personne mise en cause, pour être confronté avec le témoin L.C.

18. Le 20 mai 1996, de nouvelles preuves proposées furent acceptées. Par une décision du même jour, le juge central d'instruction nº 1 près l'Audiencia Nacional ordonna l'inculpation et le placement en détention provisoire non-communiquée du deuxième et du troisième requérants, pour détention irrégulière, tortures et assassinat. Il tint compte, pour conclure aux inculpations, de divers témoignages directs et par ouï-dire, notamment ceux du témoin protégé 2345 et de L.C. Le troisième requérant choisit pour représentant légal l'avocat qui le représente devant la Cour.

19. Le 27 mai 1996, à la demande du ministère public, le juge central d'instruction nº 1 ordonna l'inculpation de Me A.A. pour recel des infractions imputées à ses clients. Le même jour, le quatrième requérant, M. Rodríguez Galindo, fut inculpé pour détention irrégulière, tortures et assassinat.

20. Par une décision du 19 juin 1996, le juge central d'instruction nº 1 ordonna l'inculpation, pour détention irrégulière, torture et assassinat, du cinquième requérant et, pour recel d'infractions, de M. Vera, alors Secrétaire d'État à la Sécurité au ministère de l'Intérieur. La décision du juge exposait en détail les faits résumés ci-dessous : le 16 octobre 1983, les deuxième et troisième requérants, agents de la Garde civile, arrêtèrent J.A.L. et J.I.Z. dans le sud de la France et les amenèrent de force en Espagne. Ils en informèrent le quatrième requérant, qui ordonna le transfert des prisonniers au Palais de La Cumbre à Saint‑Sébastien, où ils furent durement interrogés, battus et torturés pendant plusieurs jours dans le but d'obtenir des informations sur des membres ou des proches de l'organisation terroriste ETA et à titre de représailles pour les actions violentes menées par celle-ci contre des membres de la Garde civile et d'autres corps et forces de sécurité de l'État. Au vu de l'état dans lequel se trouvaient les détenus du fait des tortures qui leur avaient été infligées, le quatrième requérant, général de la Garde civile, ordonna qu'on les transfère à Alicante et qu'on les fasse disparaître. Cette décision fut portée à la connaissance du cinquième requérant, Gouverneur civil de Guipúzcoa, qui ne fit rien pour contrecarrer ces projets. A une date non précisée, les détenus furent conduits par les deuxième et troisième requérants aidés d'une autre personne à Bussot (Alicante), où ils furent dénudés et allongés sur le sol devant une fosse préalablement creusée ; puis le deuxième requérant leur tira trois balles dans la tête. Après avoir jeté les corps dans la fosse, le deuxième et le troisième requérants les recouvrirent de cinquante kilogrammes de chaux vive afin de faire disparaître leurs dépouilles. Les quatrième et cinquième requérants en furent informés immédiatement, et les assassinats furent revendiqués par le GAL au moyen d'un appel téléphonique à une radio d'Alicante, le 21 janvier 1984. Un an plus tard, des restes de corps humains furent trouvés sur les lieux. Ils ne furent identifiés qu'en 1995.

21. Par une décision du 20 juin 1996, le juge central d'instruction décida de limiter les visites que pouvaient recevoir en prison les deuxième et troisième requérants.

22. Par une décision non motivée du 24 juin 1996, le juge central d'instruction accueillit partiellement les preuves produites par les requérants et exigea, en ce qui concernait les dépositions des témoins à décharge, qu'une liste des questions à poser lui fût adressée au préalable.

23. Le troisième requérant souffrant d'un trouble de la personnalité qui se manifestait par des tentatives de suicide (il avait tenté de se tuer en se tirant une balle dans l'abdomen), le juge central d'instruction nº 1, à sa demande, l'autorisa le 8 août 1997 à déposer à huis clos. Cette mesure devait...

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