LIZASO AZCONOBIETA v. SPAIN

Judgment Date28 June 2011
ECLIECLI:CE:ECHR:2011:0628JUD002883408
Respondent StateEspaña
Date28 June 2011
Application Number28834/08
CourtThird Section (European Court of Human Rights)
CounselROUGET D. ; SANZ I.
Applied Rules6;6-2;41
<a href="https://international.vlex.com/vid/convenio-europeo-libertades-fundamentales-67895138">ECHR</a>




TROISIÈME SECTION







AFFAIRE LIZASO AZCONOBIETA c. ESPAGNE


(Requête no 28834/08)









ARRÊT



STRASBOURG


28 juin 2011



DÉFINITIF


28/09/2011



Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lizaso Azconobieta c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Egbert Myjer,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele,
Kristina Pardalos, juges,
Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (nº 28834/08) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. José Francisco Lizaso Azconobieta (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me D. Rouget, avocat à Bayonne et Me I. Iruin Sanz, avocat à Guipúzcoa. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, F. Irurzun Montoro.

3. Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 2 de la Convention en raison des propos tenus, par le gouverneur civil de Guipúzcoa, lors de la conférence de presse du 8 juin 1994.

4. Le 30 mars 2010, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. M. L. López Guerra, juge élu au titre de l’Espagne s’étant déporté, le président de la section a décidé de désigner M. A. Saiz Arnaiz pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 b) du règlement de la Cour).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1952 et réside à Usurbil.

7. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

8. Le 5 juin 1994, à 5 heures du matin, dans le cadre d’une opération policière contre l’organisation terroriste E.T.A., le requérant fut arrêté à Usurbil (Guipúzcoa) par des agents de la garde civile. Il fut placé en détention non communiquée pendant cinq jours à la Direction générale de la garde civile à Madrid.

9. Le 8 juin 1994, à 11 heures 30, le gouverneur civil de Guipúzcoa organisa une conférence de presse pour donner des détails sur l’opération policière. Au cours de cette conférence, le requérant fut présenté comme étant membre d’un commando de l’E.T.A. responsable de trois attentats. La transcription des extraits pertinents s’établit ainsi :

«- Le gouverneur civil de Guipúzcoa : (...) un commando légal [terme utilisé par l’ETA pour désigner des commandos dont les membres ne sont pas identifiés par les forces de l’ordre comme appartenant à l’organisation] assassin, criminel, armé, le commando Kirruli, dont nous connaissions l’existence depuis pratiquement 1985-1986, a été démantelé. Il a donc eu une longue existence, avec différents membres (...).

Nous avons pu éclaircir quelques attentats qui ont eu lieu pendant ces dernières années dans la province de Guipúzcoa. Nous avons, par exemple, la conviction que le commando Kirruli est le responsable de l’assassinat de M. Luengo à Rentería (...).

Nous avons aussi la conviction que le commando Kirruli assassina M. Villafañe, l’agent de la garde civile retraité à Andoain (...).

Pour ma part, il n’y a rien de plus à ajouter. Si vous avez des questions.

- Question inaudible d’un journaliste.

- Le gouverneur civil : En ce qui concerne les membres du commando, les deux personnes qui ont été arrêtées sont Francisco Lizaso Azconobieta et Francisco Ramón Uribe Navarra.

- Un journaliste : Pouvez-vous, s’il vous plaît, répéter les noms ?

- Oui, Francisco Lizaso Azconobieta, Azconobieta, et Francisco Ramón Uribe Navarra.

Bon, j’avais oublié de dire qu’en plus des deux attentats attribués au commando Kirruli, il y a un autre attentat commis en plaçant un paquet-bombe au [centre commercial] Pryca en 1986, je crois que c’était à Noël 1986, un appareil explosif qui explosa alors qu’il était en train d’être désactivé et qui causa la mort d’un agent de la garde civile. (...) »

10. Les déclarations du gouverneur civil lors de la conférence de presse furent diffusées dans le journal télévisé de midi de la chaîne de télévision autonome basque ETB-2 le 9 juin 1994, ainsi que dans plusieurs journaux régionaux et nationaux les 9 et 10 juin 1994.

11. Le 9 juin 1994, le requérant fit sa déposition devant le Juge central d’instruction nº 5 près l’Audiencia Nacional.

12. Par une décision du 10 juin 1994, le juge d’instruction nº 5 de l’Audiencia Nacional ordonna la remise en liberté du requérant sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Le requérant ne fut accusé, par la suite, d’aucun délit ou crime.

A. La procédure devant la juridiction pénale

13. Le requérant déposa une plainte pénale à l’encontre du gouverneur civil de Guipúzcoa pour des délits présumés de calomnie et d’injures. Par une décision du 12 décembre 1994, le juge d’instruction nº 3 de Saint-Sébastien considéra que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’un délit, les déclarations du gouverneur civil n’ayant pas comme but d’attenter à l’honneur du requérant, mais d’informer l’opinion publique de l’opération policière. Le juge admit que l’imputation au requérant d’un lien présumé avec l’E.T.A. avait affecté sa réputation. Cependant, il estima que la voie pénale n’était pas la voie appropriée pour obtenir une réparation, le requérant ayant la possibilité de solliciter une indemnisation pécuniaire pour les dommages subis.

14. Le requérant fit appel. Par une décision du 7 juin 1995, l’Audiencia Provincial de Guipúzcoa annula la décision rendue en première instance et rejeta la plainte du requérant au motif que le requérant ne remplissait pas les conditions requises pour agir en justice. L’Audiencia Provincial précisa à cet égard qu’aucune décision définitive n’avait été rendue concernant la culpabilité ou l’innocence du requérant, ce qui l’empêchait de se prononcer sur la véracité de l’information donnée par le gouverneur civil. Contrairement aux dires du requérant, l’Audiencia Provincial observa que la décision du 10 juin 1994 se bornait à ordonner la remise en liberté du requérant.

15. Une fois remplie la condition requise pour agir en justice, en vertu d’une attestation du 26 avril 1996 rendue par le greffier du juge central d’instruction nº 5 de l’Audiencia Nacional, le requérant déposa une nouvelle plainte pénale à l’encontre du gouverneur civil. Par une décision du 27 mai 1996, le juge d’instruction nº 3 de Saint-Sébastien considéra que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’un délit. Le juge estima, par ailleurs, que la réputation du requérant pouvait avoir été atteinte et signala que le requérant avait la possibilité de réclamer une indemnisation auprès de la juridiction civile ou devant la juridiction contentieuse-administrative en réclamation de la responsabilité de l’Administration.

B. La procédure devant la juridiction civile

16. Le requérant intenta une action en protection de l’honneur auprès du juge de première instance nº 4 de Saint-Sébastien qui, par un jugement du 1er juin 1998 accueillit ses prétentions et condamna le gouverneur civil à verser au requérant une indemnisation de cinq millions de pesetas (environ 30 000 euros).

17. Le juge nota que l’appartenance du requérant au commando Kirruli auquel était attribué des délits graves, avait été divulguée en public, devant plusieurs médias, de manière réitérée, sans nuance ni réserve, sans l’avoir contrastée avec d’autres données comme il aurait été exigible pour une question si délicate et sans l’appui d’une décision pénale définitive. Dans ces circonstances, le juge considéra que la conférence de presse et l’écho que son contenu avait eu dans les médias provoquèrent un préjudice notable à la considération sociale et familiale du requérant.

18. Par ailleurs, le juge estima que la conférence de presse avait été effectuée de manière précipitée, sans prendre les mesures exigibles de précaution, de précision et de constatation suffisante des données, compte tenu du fait que l’enquête policière n’était pas finalisée, et que le gouverneur civil ne disposait pas de l’ensemble des pièces de l’enquête. A cet égard, le juge nota que le jour même de la conférence de presse, quelques heures plus tard, l’autre personne qui avait été arrêtée avec le requérant avait effectué une deuxième déposition et avait déclaré que ce dernier n’était pas membre du commando.

19. Le gouverneur civil et le ministère public firent appel. Par un arrêt du 26 mars 1999, l’Audiencia Provincial de Guipúzcoa confirma le jugement attaqué. L’Audiencia Provincial nota que lors de la conférence de presse le gouverneur civil imputa au requérant l’appartenance à l’organisation terroriste E.T.A. en tant que membre du commando Kirruli, et la participation à trois attentats, sans aucune réserve et sans laisser de doute possible. Le gouverneur civil ne mentionna pas que son appartenance au commando et la participation aux attentats étaient présumées, malgré le fait que l’enquête relative aux faits imputés était à peine commencée. Cela obligeait le gouverneur à prendre...

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