Vers une «déterritorialisation» de l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales?

AuthorOlivier Corten
PositionProfesseur à l'Université libre de Bruxelles. Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international
Pages207-228
Vers une «Déterritorialisation» de l’Interdiction du Recours à la Force dans les Relations
Internationales?
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Vers une «Déterritorialisation»de l’Interdiction du Recours àla
Force dans les Relations Internationales?1
OLIVIER CORTEN2
Resumo
O presente artigo tem como objetivo discutir e responder, de forma crítica, à
indagação de se estamos indo em direção a uma “desterritorialização” da proibição do
recurso à força nas relações internacionais.
Abstract
This article aims to discuss and respond critically to the question if we are
currently going towards a “deterritorialization” of the prohibition of the use of force
in international relations.
cd
Dans le système de la Charte des Nations Unies, l’interdiction du recours à la force
apparaît intrinsèquement liée à la protection de l’intégrité territoriale des Etats3. En
applicationde l’article2 §4, lesEtats s’abstiennent,«dans leursrelations internationales,
de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégritéterritoriale ou
l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec
les buts des Nations Unies»4. Une lecture des résolutions de l’Assemblée générale
portant interprétation de cette disposition conrme que l’attaque armée est souvent
condamnée comme une tentative de s’approprier une partie du territoire d’un autre
Etat5, ou à tout le moins de menacer ou remettre en cause les frontièresinternationales,
1Letexte qui suit a été rédigé à partir du cours dispensé au mois de juillet 2009 dans le cadre des Curso
de Inverno de Direito Internacional, organisés par le Centro didireito internacional (Belo Horizonte),
cours intitulé: «Le concept d’intégrité territoriale: aspects contemporains». Je remercie très sincèrement le
professeur Leonardo Nemer Caldeira Brant pour son invitation et son accueil, ainsi que son équipe (et en
particulier Delber Andrade Lage) pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée.
2Professeur àl’Université libre de Bruxelles. Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit
international
3Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, AUF, 2001, v° intégrité territoriale,
p. 592.
4Nous soulignons.
5Ainsi, par exemple, dans la résolution 2625 (XX) de l’Assemblée générale des Nations Unies, on lit
notamment que «Le territoire d’un Etat ne peut faire l’objet d’une occupation militaire résultant d’un emploi
de la force contrairement aux dispositions de la Charte. Le territoire d’un Etat ne peut faire l’objet d’une
acquisition par un autre Etat àlasuite du recours àlamenace ou àl’emploi de la force. Nulle acquisition
territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale […]». V. aussi
d’autres extraits cités ci-dessous.
208 VANUÁRIO BRASILEIRO DE DIREITO INTERNACIONAL | V. 1
gages de la stabilitéde la sociétéinternationale contemporaine6. Parallèlement, l’Etat
est traditionnellement associé à un gouvernement souverain exerçant la pleinitude des
compétences sur un territoire donné7. La «territorialisation» du pouvoir politique, qui
s’est développé historiquement avec l’avènement de la modernité, va logiquement
de paire avec la protection de la souveraineté territoriale assurée par l’interdiction du
recours à la force dans les relations internationales8.
Depuis plusieurs années, les sociologues et politologues ont mis en évidence
un phénomène de «déterritorialisation» du pouvoir politique, qui serait l’une des
caractéristiques de l’avènement d’une époque postmoderne9. En raison à la fois de
l’accroissement des compétences des organisations internationales et de la montée
en puissance de certains acteurs privés, chaque Etat a, dans les faits, de moins en
moins la plénitude des compétences sur son territoire10.Les frontières voient leur
signication se modier de manière radicale; alors qu’elles constituaient naguère des
lignes précises et identiées marquant une séparation radicale des pouvoirs étatiques
voisins ou concurrents, elles tendent progressivement à se réduire à de simples
symboles, l’exercice de compétences extraterritoriales se développant parallèlement
aux phénomènes d’intégration régionale11.
Cette déterritorialisation progressive se répercute-t-elle sur l’interprétation
généralement admise de la règle de l’interdiction du recours à la force dans les relations
internationales? 12 C’est à cette question que l’on tentera de répondre dans le cadre
de la présente contribution, qui se limitera donc à une analyse du droit international
positif existant, et plus spéciquement à ses évolutions récentes13.Al’analyse, on
constatera que les relations entre l’article 2 § 4 de la Charte et le concept d’intégrité
territoriale se caractérisent par la complexité, l’objet de l’interdiction du recours à la
force n’étant pas —et n’ayant d’ailleurs jamais été— limité à la protection du territoire
des Etats. En ce sens, évoquer une «déterritorialisation» de la règle semble inapproprié,
et on le montrera en exposant deux de ses aspects. Tout d’abord, on constatera que
l’interdiction du recours à la force a toujours eu un champ d’application très vaste,
6V.p.ex. C.P.J.I.,Affaire du Traité de Lausanne, Série Bn°12, pp. 262 et ss.; C.I.J., Affaire du Différend
territorial (Libye/Tchad),Recueil 1994, sp. p. 37.
7Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, op.cit., v° Etat, p. 454; dans l’affaire de l’Ile
de Palmas, l’arbitre Max Huber arappelé que «Territorial sovereignty […] involves the exclusive right to
display the activities of a State»; R.S.A., vol. II, p. 839.
8V.p.ex. Macolm Anderson, Frontiers, Territory and State Formation in the Modern Wo rld, Cambridge,
Polity Press, 1996.
9V.p. ex. Bertrand Badie, La n des territoires, Paris, Fayard, 1995.
10 Jean Salmon, «Le droit international à l’épreuve au tournant du XXIème siècle», Cursos Euromediterraneos
de Derecho Internacional, 2002, vol. VI, pp. 260-261; Serge Sur, «L’Etat entre l’éclatement et la
mondialisation», R.B.D.I.,1999, p. 10.
11 V. p. ex. Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999.
12 V.,dansune perspective parallèle, les réexions de Hélène Ruiz Fabri, «Immatérialité, territorialité et Etat»,
A.P.D.,1999, pp. 187-213.
13 On se limitera donc àune analyse de type formaliste; v. les précisions dans notre ouvrage, Méthodologie du
droit international public, Bruxelles, ed. Université de Bruxelles, 2009, pp. 57 et ss.

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