THIBAUT c. FRANCE

ECLIECLI:CE:ECHR:2022:0614DEC004189219
CounselDEHARBE D.
Date14 June 2022
Application Number41892/19;41893/19
CourtFifth Section (European Court of Human Rights)
Applied Rules8;8-1;8-2;35

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requêtes nos 41892/19 et 41893/19
Jean-Marie THIBAUT contre la France
et Guillaume THIBAUT contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant les 31 mai et 14 juin 2022 en une chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Ganna Yudkivska,
Lətif Hüseynov,
Ivana Jelić,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites le 16 avril 2019,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants, M. Jean-Marie Thibaut (première requête) et M. Guillaume Thibaut (seconde requête), sont des ressortissants français nés en 1949 et 1975 respectivement, et résidant à Tourmignies. Ils sont représentés devant la Cour par Me D. Deharbe, avocat exerçant à Roubaix.

2. Le Gouvernement français (« le Gouvernemnet ») est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

  1. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été exposés par les parties, se présentent de la manière suivante.

4. Les requérants sont membres de l’association Rassemblement pour l’évitement des lignes électriques dans le Nord (« RPEL 59 ») constituée en septembre 2013, dont l’objet statutaire est notamment « d’étudier l’utilité de projets de renforcement, de reconstruction ou de création de lignes haute tension et très haute tension sur le territoire de la région Nord Pas-de-Calais, de lutter contre les pollutions et nuisances générées par les lignes existantes comme par les projets précités, notamment au regard des impacts sur les espaces, milieux et habitats naturels, la faune, la flore, sur le paysage et le cadre de vie, sur la santé humaine et sur le patrimoine, de favoriser les échanges sur ces thématiques entre l’ensemble des parties prenantes dans un souci de transparence et d’objectivité, ainsi que de défendre en justice l’ensemble de ses membres ».

5. Les requérants ainsi que des communes et des associations – dont l’association RPEL 59 – s’opposent au projet de la société Réseau Transport d’Électricité (« RTE ») visant au remplacement de la ligne à très haute tension (« THT ») existant entre Avelin et Gravelle par une ligne en double circuit afin de porter sa capacité de transit maximale de 1 500 mégawatts à 4 600 mégawatts. RTE est une société anonyme dont la totalité du capital est détenue par Électricité de France (qui est également une société anonyme, dont l’État détient plus de 70 % du capital), l’État ou d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public.

6. Longue d’une trentaine de kilomètres, cette ligne électrique de 400 000 volts à double circuit, majoritairement aérienne, devrait relier les communes d’Avelin et de Gavrelle par une vingtaine de câbles soutenus par soixantedix-huit pylônes hauts de soixante-dix mètres.

7. Les maisons des requérants sont situées à un peu plus de 115 mètres du tracé.

8. La commission nationale du débat public (« CNDP ») organisa un débat public entre octobre 2011 et février 2012, puis une concertation, entre septembre 2012 et octobre 2015.

9. Le 12 août 2015, RTE présenta une demande auprès du ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer afin que les travaux envisagés pour la création de la ligne très haute tension soient déclarés d’utilité publique.

10. L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, à la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et à l’autorisation de travaux susceptibles d’affecter l’environnement se déroula du 11 avril au 11 mai 2016. Les requérants indiquent que la participation fut massive (plus de 3 800 avis et 13 000 observations furent déposés sur les registres), qu’il ressort du rapport établi par la commission d’enquête que les avis recueillis étaient « exclusivement défavorables au projet à près de 100 % », et que près d’un quart des observations reflétaient l’inquiétude des riverains sur leur santé, et un autre quart, leur interrogation quant à l’utilité du projet.

11. Le 10 juin 2016, la commission d’enquête rendit un avis favorable assorti de réserves et de recommandations, tenant notamment à la mise en œuvre d’un dispositif spécifique de rachat des habitations les plus proches de la ligne et d’un suivi médical spécifique des personnes exposées.

12. Le 19 décembre 2016, la ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer prit un arrêté déclarant d’utilité publique le projet. Le même jour, elle envoya une lettre au président de RTE dans laquelle il était précisé que :

« (...) Afin de répondre aux inquiétudes et propositions des riverains de l’ouvrage, je souhaiterais que RTE mette en place (...) : une proposition de rachat aux propriétaires qui le souhaitent, des maisons qui se trouvent dans la bande des 100 mètres de l’extrémité de la nappe des câbles ; un suivi médical personnalisé ; la participation de RTE à un comité de suivi des engagements pris pour ce projet, et de ses effets (...) ».

13. Le 14 février 2017 des associations, dont l’association RPEL 59, des communes et des élus formèrent un recours gracieux auprès du ministre de l’Environnement en vue du retrait de l’arrêté portant déclaration d’utilité publique. Ils dénonçaient les conséquences paysagères, écologiques et sanitaires du projet, et soutenaient que l’arrêté méconnaissait le principe de précaution. Selon eux, ces conséquences étaient disproportionnées par rapport à l’utilité tout à fait limitée du projet pour la communauté : la société RTE ne pouvait utilement justifier le triplement de la capacité de la ligne existante et la démultiplication du trafic moyen que permettrait l’infrastructure projetée par une prétendue augmentation de la consommation nationale d’énergie, celle-ci étant en baisse constante ; elle n’avait pas démontré que, comme elle le soutenait, le projet était nécessaire à la sécurisation du réseau et au développement des énergies renouvelables. Ils faisaient valoir que le but réel du projet était l’exportation en Belgique d’électricité produite par le futur réacteur nucléaire de Flamanville pour en déduire que l’intérêt pour la communauté était plus que discutable eu égard au coût excessif de cet ouvrage.

14. L’absence de réponse de la ministre valant décision implicite de rejet, certaines des associations qui avaient formé le recours gracieux, dont l’association RPEL 59, des communes et une communauté de communes, saisirent le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté ministériel...

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