L’objet du référendum en Estonie

AuthorRodolphe Laffranque
PositionL’objet du référendum en EstonieLL.M., Reseacrh Fellow of Public Law, University of Tartu
Pages175-183

Rodolphe Laffranque

LL.M., Reseacrh Fellow of Public Law, University of Tartu

L'objet du référendum en Estonie

Comme toutes ses devancicres, la Constitution de la République estonienne de 1992 donne la possibilité au peuple ou, pour ztre plus précis, aux citoyens ayant le droit de vote, de statuer directement par la voie du référendum sur une question qui intéresse l'État (art 56 et 105 Cst.). Néanmoins, la Constitution ne va pas jusqu'a lui accorder le droit d'initier lui-mzme le référendum, ce qu'elle réserve exclusivement au Parlement, appelé Riigikogu1.

Il faut bien avouer que le systcme constitutionnel estonien fait de ce procédé de démocratie directe, inscrit dans un cadre juridique précis protecteur d'un État de droit démocratique 2 , un simple outil au profit de la seule représentation nationale. La principale fonction du référendum étant d'apporter un supplément de légitimité a la décision que le Parlement aurait l'intention de prendre. Une faeon, en quelque sorte, de rendre incontestable un choix politique fondamental. Il est vrai que, d'un point de vue démocratique, il n'y a rien de plus légitime que la volonté du peuple s'exprimant par référendum. La volonté du peuple souverain (l'article 1 er Cst. reconnaissant qu'il est détenteur du pouvoir étatique suprzme) ne se traduit pas seulement en terme de légitimation, mais aussi en terme d'obligation. Selon l'article 105 al. 3 Cst., la décision du référendum s'impose sans condition a tous les organes de l'État. Notons que pour qu'une décision soit prise par référendum, il suffit qu'elle recueille la majorité des suffrages exprimés, sans qu'aucune autre condition de validité soit exigée. Le référendum estonien a donc pour caractéristique de n'ztre jamais consultatif mais toujours décisionnel. Les obligations que devront accomplir les pouvoirs publics a l'issue du scrutin varient cependant en fonction de l'objet sur lequel porte le référendum. Parmi la multitude de questions pouvant ztre soumises a la votation populaire, l'article 105 Cst., aux termes duquel « le Riigikogu a le droit de soumettre au référendum un projet de loi ou d'autres questions d'intérzt national », classe ces objets en deux catégories de référendum. A partir de cette distinction et en prenant en compte la pratique référendaire que l'Estonie a connu au cours de son histoire, nous analyserons dans une premicre partie le référendum sur un projet de loi et dans une seconde partie le référendum sur d'autres questions d'intérzt national.

1. Le référendum sur un projet de loi

Le terme « projet de loi » doit ztre ici entendu dans un sens large. Tout d'abord, il ne correspond pas uniquement aux textes que le Gouvernement dépose au Parlement. Peu importe celui qui est a l'origine des textes initiés, ces derniers portent tous le nom de « projet de loi ». Enfin et surtout, le terme ne se limite pas aux seuls textes de valeur législative. Le peuple peut ainsi ztre appelé a se prononcer sur des projets de loi qui ont une nature législative ou constitutionnelle. Ainsi, en s'appuyant sur la hiérarchie des normes, une distinction doit ztre également faite entre référendum constitutionnel et référendum législatif.

1.1. Le référendum constitutionnel

De tous les référendums dont l'objet est de soumettre au peuple un texte de loi, le référendum constitutionnel est sans conteste celui qui en Estonie occupe une place de tout premier plan. Ce n'est certes pas une caractéristique propre a l'Estonie car il est de loin le plus répandu dans de nombreux pays. Cette constatation n'a cependant rien d'une banalité. Elle tend bien plus a mettre l'accent sur l'importance que revzt pour l'Estonie la participation du peuple au processus d'adoption et de révision de la Constitution. Ceci dans la mesure ol le peuple est reconnu comme étant l'origine et le seul détenteur du pouvoir souverain (art. 1 er Cst.).

A la lecture de la Constitution de 1992, on s'apereoit que le référendum constitutionnel, en tant que référendum sur un projet de loi, se présente sous les formes que sont le référendum constituant et le référendum de révision constitutionnelle. D'une part, le préambule de la Constitution énonce in fine que « le peuple estonien a adopté, sur la base de l'article 1 er de la Constitution entrée en vigueur en 1938, par référendum du 28 juin 1992, la [présente] Constitution ». D'autre part, l'article 163 al. 1 Cst. dispose que « la Constitution peut ztre modifiée par une loi qui a été adoptée par référendum ».

En ce qui concerne le référendum du 28 juin sur le projet de Constitution, on peut se demander s'il s'agit réellement d'un référendum constituant, lequel « se caractérise par son effet fondateur d'un nouvel ordre constitutionnel, en rupture avec celui qui préccde ce dernier »3. Or justement, la Constitution de 1992 ne semble pas ztre en rupture avec sa devancicre, celle de 1938, dont l'article 1 er a servi, a priori, de fondement au référendum de 1992. Cependant, la référence dans le préambule au premier article de la Constitution de 1938 est trompeuse car elle insinue que la Constitution de 1992 est une modification du texte de 1938 alors que ce n'est pas le cas. Pour s'en rendre compte, il suffit de lire ledit article qui ne rcgle pas les modalités de la révision constitutionnelle mais établit solennellement que « l'Estonie est une République autonome et indépendante, dans laquelle le pouvoir suprzme de l'Etat réside dans le peuple ». On comprend dcs lors que l'insertion dans la nouvelle Constitution de l'article 1 er du dernier texte constitutionnel en vigueur avant l'occupation a un caractcre davantage symbolique que juridique. En ce sens qu'elle permet d'évoquer la continuité de l'Etat estonien, lequel n'a, selon la Constitution, jamais cessé d'exister4. Par conséquent, le 28 juin 1992, les Estoniens se sont bien prononcés sur la création d'une nouvelle Constitution (et non d'un nouvel État), ce qui lcve toute ambigulté sur la nature constituante de ce référendum. Précisons pour finir que c'est le Soviet suprzme de la République d'Estonie qui, aprcs avoir confié la mission de rédiger un projet de Constitution a une « Assemblée constitutionnelle » 5 créée le 20 aout 1991, était chargé de le soumettre a l'approbation populaire6.

Ceci étant, il convient de rappeler que l'Estonie n'a pas toujours suivi la voie référendaire pour l'adoption d'une Constitution. Disons mzme franchement qu'aucune des précédentes Constitutions estoniennes - celles du moins qui sont formellement désignées comme telles a savoir les Constitutions de 1920 et de 1938, n'ont jamais reeu l'onction populaire. Sur ce point, l'Estonie a fait preuve d'une certaine hardiesse a l'occasion de la restauration de son ordre constitutionnel par rapport a la pratique d'avant-guerre.

Si le référendum sur l'adoption d'une Constitution n'est pas une caractéristique estonienne, tout autre est celui qui a pour objet de réviser le texte constitutionnel. Toutes les Constitutions estoniennes de 1920 a 1992 s'accordent effectivement a reconnaitre que le peuple puisse statuer sur des projets de loi portant modification de la Constitution conformément aux rcgles et procédures préalablement établies. C'est précisément sur la procédure des référendums de révision constitutionnelle que les divergences apparaissent entre ces Constitutions. Pour résumer, on peut dire que la Constitution de 1992 met en place un type de référendum constitutionnel a mi-chemin entre ceux établis en 1920 et 1938. Alors que la Constitution de 1920 fait du référendum un passage obligé avant toute révision constitutionnelle et que celle de 1938 n'en fait qu'un moyen occasionnel a disposition du chef de l'État pour résoudre un désaccord qui l'oppose au Parlement a propos d'un projet de loi constitutionnelle, la Constitution de 1992 prévoit le recours au référendum aussi bien en tant que mode alternatif de révision constitutionnelle qu'en tant que procédure obligatoire (c'est-a-dire organisé d'office). Ainsi, les lois portant révision de la Constitution peuvent, en vertu de l'article 163 a. 1 Cst., ztre adoptées par vote populaire selon la procédure référendaire ou par vote du Riigikogu selon soit la procédure des deux législatures successives soit la procédure d'urgence. Si toutefois, la révision porte sur le chapitre 1 er ou le chapitre 15 de la Constitution, c'est-a-dire sur les dispositions générales relatives au fondement de l'Etat estonien et celles concernant les modalités de la révision constitutionnelle 7 , alors, selon l'article 162 Cst., elle ne pourra se réaliser qu'aprcs avoir obtenu l'accord du peuple par référendum. Outre cette disposition, la révision constitutionnelle de 2003 a introduit un cas supplémentaire de référendum constitutionnel obligatoire, dans la mesure ol la loi portant amendement de la Constitution, placée in-extenso a la suite du texte constitutionnel de 1992, fixe en son article 3 que sa révision doit obligatoirement suivre la voie référendaire.

Il s'agit d'ailleurs, a ce jour, de la seule révision constitutionnelle a laquelle le peuple ait eu l'occasion de participer par référendum depuis l'adoption de la Constitution en 1992. Ceci dit, il n'y a eu jusqu'a présent, que deux révisions constitutionnelles 8 , ce qui ne nous permet pas de porter un jugement critique sur l'usage du référendum constitutionnel en Estonie. Malgré le référendum constitutionnel de 2003, qui plus est, trouvant sa place dans un environnement foncicrement attaché a la stabilité constitutionnelle, il ne semble pas que le référendum soit, en Estonie, le mode normal de révision de la Constitution. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer que tous les référendums estoniens portant sur un projet de...

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