La norme ISO 45001 et les controverses autour de la régulation transnationale privée de la sécurité et de la santé au travail
Author | Iñaki HERAS‐SAIZARBITORIA,Ander IBARLOZA,Olivier BOIRAL |
Date | 01 September 2020 |
DOI | http://doi.org/10.1111/ilrf.12163 |
Published date | 01 September 2020 |
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 3
* Département de management, Université du Pays basque UPV-EHU; iheras@ehu.eus (au-
teur réréfent). ** Département de management, Université Laval; Olivier.Boiral@mng.ulaval.ca.
*** Département d’économie nancière I, Université du Pays basque UPV-EHU; ander.ibarloza@ehu.
eus. Les auteurs sont extrêmement reconnaissants à la rédactrice en chef de la Revue internatio-
nale du Travail, Tzehainesh Teklè, ainsi qu’à trois relecteurs anonymes pour leurs précieux com-
mentaires et suggestions. Les activités de recherche nécessaires à cet article ont été nancées par
le gouvernement du Pays basque (Groupe de recherche GIC 15/176), par la Chaire de recherche du
Canada sur l’internalisation du développement durable et la responsabilisation des organisations
et par le projet METASTANDARDS, nancé par le ministère de la Science, de l’Innovation et des
Universités de l’Espagne et l’Agence nationale de recherche espagnole (Agencia Estatal de Investi-
gación – AEI) et conancé par le Fonds européen de développement régional (FEDER) de l’Union
européenne (référence: PGC2018-098723 -B-I00)..
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
La norme ISO 45001
et les controverses autour
de la régulation transnationale
privée de la sécurité
et de la santé au travail
Iñaki HERAS-SAIZARBITORIA*, Olivier BOIRAL**
et Ander IBARLOZA***
Résumé. Les auteurs analysent la genèse de la norme ISO45001 sur la sécurité et
la santé au travail, une initiative de régulation transnationale privée. Ils décrivent
les controverses qui ont surgi à cette occasion, en se fondant sur des entretiens
avec des personnes associées à l’élaboration, l’approbation et la diffusion initiale
du texte, ainsi que sur une analyse qualitative des documents internes au comité
chargé de sa finalisation. À l’instar de normes précédentes sur l’environnement
– ISO 14001 – et la responsabilité sociale des entreprises – ISO26000 –, ce nouvel
instrument suscite de vives préoccupations, car il traite de questions politiques,
sociales et juridiques déterminantes.
Mots-clés: régulatio n transnationale pr ivée, élaboration de nor mes, normes de
systèmes de gesti on, métanormes, sécu rité et santé au travail, nor me ISO 45001.
1. Introduction
Les normes internationales certiables volontaires de gestion – dites aussi «mé-
tanormes» – occupent une place importante parmi les règles et les normes qui
régissent l’économie mondiale (Christmann et Taylor, 2001; Nadvi et Wältring,
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2004; O’ Rourke, 2006; Darnall et Sides, 2008; Delmas et Montiel, 2008). Les mé-
tanormes, ou normes de systèmes de gestion (Christmann et Taylor, 200 6; Cor-
bett et Yeung, 20 08), sont élaborées par des organismes internationaux privés
tels que l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et ont pour objet de
formaliser, de systématiser et de légitimer un ensemble diversié d’activités ou
de tâches d’organisation (Boiral et Heras-Saizarbitoria, 2015). Elles couvrent un
large éventail de domaines, allant de la gestion de la qualité (normes ISO9 001),
de la gestion de l’environnement (normes ISO14001) et de la responsabilité so-
ciale des entreprises (normes ISO26000) à la prévention des accidents du travail
et à l’élaboration de règles sur la sécurité et la santé au travail (S&ST1) (normes
ISO450 01 ou OHSAS18001). Toutes ces normes reètent une méthodologie si-
milaire en termes d’élaboration, de structure, de procédure de mise en œuvre
et de contrôle ou d’audit par des tiers.
Les métanormes illustrent de manière frappante la tendance générale à la
normalisation. Elles représentent une forme de coordination et de gouvernance
hybride qui ne cesse de gagner du terrain sous forme de régulation transnatio-
nale privée. En d’autres termes, elles apportent une option nouvelle par rapport
à la réglementation traditionnelle opérée par les pouvoirs publics (Brunsson et
Jacobsson, 2000; Abbott et Snidal, 2001; Mendel, 2001). On parle à leur sujet de
formes hybrides de gouvernance, car elles combinent des logiques diérentes
et mêlent partenariats publics et privés (Bernstein et Cashore, 2007). Ainsi, ces
normes sont négociées au sein d’organismes où les premiers rôles sont tenus par
des acteurs du secteur privé, même si les États y sont aussi représentés (Roht-
Arriaza, 1997 ), puisque des organismes privés comme l’ISO entretiennent des
relations étroites avec les gouvernements nationaux (Heires, 20 08). Comme le
souligne Baek (2017), les métanormes sont des outils qui résultent d’une muta-
tion du processus de réglementation, passant de la réglementation tradition-
nelle (c’est-à-dire des stratégies de commandement et de contrôle fondées sur
des règles et règlements appliqués par l’État) à un processus de régulation nou-
veau (c’est-à-dire des stratégies de contrôle social). Ce phénomène est aussi lié à
l’émergence de la «société de l’audit» (Power, 1997 et 2003), dotée de rituels de
vérication et marquée par une tendance au contrôle, à la rationalité et à la lé-
gitimité sociale. La production de métanormes a des eets sociaux et politiques
marquants, que de nombreuses analyses spécialisées ou «techniques» (voir la
section2.1) passent pourtant sous silence. Comme le soulignent Timmermans et
Epstein, «bien que les normes soient souvent, formellement (ou juridiquement),
le fruit d’une négociation, elles ont aussi tendance à sortir du domaine de la
vision sociale et à devenir, à terme, une partie de l’infrastructure technique et
morale de la vie contemporaine que nous tenons pour acquise» (2010, p.71). En
d’autres termes, dans une perspective de constructivisme social (Bijker, Hugues
et Pinch, 1989), les outils de gestion organisationnels tels que les métanormes
sont des constructions sociales.
1 Pour simplier, nous avons choisi d’abréger l’expression «sécurité et santé au travail» en
«S&ST», selon l’usage en vigueur à l’ISO. Nous signalons cependant que, dans les textes du BIT, le
sigle généralement utilisé pour la même expression est «SST» (n.d.l.r).
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