La Mise En OEuvre De La Convention Internationale Pour La Protection De Toutes Les Personnes Contre Les Disparitions Forcees

AuthorEmmanuel Decaux
PositionProfesseur l'Université Panthéon-Assas Paris II, directeur du CRDH,
Pages89-106
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La Mise en Oeuvre de la Convention Internationale pour la Protection de Toutes les Personnes Contre les Disparitions Forcées
La Mise en Oeuvre de la Convention Internationale pour la Protection de
Toutes les Personnes Contre les Disparitions Forcées
Emmanuel Decaux*
I - Introduction
Le sujet des disparitions forcées est, aujourd’hui comme hier, une ques-
tion de fond, essentielle pour la protection des droits de l’homme, au double sens
du terme : ce crime constitue en effet un « outrage à la dignité humaine» – comme
le dit la Déclaration de l’Assemblée générale du 18 décembre 1992 – et une néga-
tion particulièrement cruelle de toutes les garanties de l’Etat de droit, mais c’est
aussi un « phénomène complexe », le nœud de violations cumulées des droits
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pratique : un crime anonyme, « un crime presque parfait », sans traces, sans ca-
davres, sans preuves... Un crime nié qui est aussi un déni du droit, mais également
un « crime continu » dont la recherche n’est jamais close, grâce aux progrès de la
science médico-légale qui donnent toute sa portée au principe d’imprescriptibilité
des crimes contre l’humanité.
1/ Actualité du sujet.
Les enjeux politiques, diplomatiques, juridiques de la mise en œuvre de
la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les
disparitions forcées (ci-après « la Convention ») ouverte à la signature des Etats
le 6 février 2007, serviront de trame à notre problématique. L’expérience reste
limitée, puisque les premières élections des membres du Comité des disparitions
forcées ont eu lieu en mai 2011 et qu’une nouvelle conférence des Etats parties,
convoquée en mai 2013, doit renouveler pour moitié les membres du Comité. Le
Comité s’est réuni à quatre reprises, d’abord pour une première session très brève
de 4 jours en octobre 2011, puis pour deux réunions, de 10 jours chacune, en mars
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avril 2013 1. C’est donc un premier cycle de deux années de mise en œuvre qui
peut être pris en compte dans une étude, avec une double mise en garde.
D’abord, parce que le sujet reste prématuré, malgré l’expérience de ces
* Professeur l’Université Panthéon-Assas Paris II, directeur du CRDH, Président du Comité des
Disparitions Forcées
1 Cet article a pour origine un «cours d’hiver» fait au CEDIN de Belo Horizonte en 2012, mais il a
été actualisé pour tenir compte des 3° et 4° sessions du Comité, Cf. le rapport annuel à l’Assemblée
générale, A/68/56.
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quatre premières sessions. Un véritable bilan d’ensemble ne sera possible que dans
deux ans, comme la Convention le prévoit d’ailleurs. De nombreuses pistes restent
à explorer, qu’il s’agisse d’interpréter ou d’appliquer la Convention : on est face à
un droit en train de se faire, à un moment critique entre le de lege lata et le de lege
feranda, avec des hypothèses de travail, plus de questions que de solutions, plus
d’interrogations que de réponses.
Ensuite, parce que ce je suis sans doute le plus mal placé pour faire ce
bilan, faute de recul personnel. Comme tous les experts indépendants, je me trouve
confronté à une contradiction évidente avec la nécessité, à toutes les occasions, de
mieux faire connaître la Convention, de contribuer à la diffusion, la sensibilisation
et l’advocacy, alors que certains Etats – même s’ils ne sont pas toujours les mieux
placés en la matière – insistent de plus en plus sur les règles d’impartialité qui
prises au pied de la lettre enfermeraient les experts dans une « tour d’ivoire ».
Mais les experts indépendants sont également des acteurs engagés :
l’impartialité n’est pas la neutralité ou l’indifférence. Nous devons avoir des con-
tacts permanents non seulement avec les Etats mais aussi avec les ONG, s’agissant
d’un mandat qui par nature est victim-oriented. Cette indépendance est encore plus
naturelle sur le terrain académique, au risque d’une certaine abstraction du propos,
qui – même si, en l’occurrence, il s’engage que moi – doit respecter une certaine
-
gage juridique, face à un sujet chargé d’émotion, mais nous devons aussi cette
pudeur et cette rigueur aux victimes.
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Les progrès récents dans le domaine de la protection des droits de l’homme
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l’impunité 2. Cela se traduit par l’accès effectif à la justice (habeas corpus), le
« droit au droit », mais aussi par une justice durable, à travers le droit de la respon-
sabilité. Les travaux des experts de la Sous-commission des droits de l’homme, au
tournant des années quatre-vingt-dix, ont permis de passer de l’examen de situa-

enrichir le droit international des droits de l’homme. C’est le cas des travaux de
Louis Joinet comme rapporteur spécial sur la lutte contre l’impunité : à travers le
droit à la vérité (qu’il préfère appeler le droit de savoir), le droit à la justice, le droit
à réparation 3. Les travaux de Théo Van Boven, révisés par Cherif Bassiouni, ont
porté sur la réparation des violations massives et systématiques, débouchant sur
les principes adoptés par l’Assemblée générale avec la résolution 60/147 du 16
2 Cf. le colloque organisé en 1991 à Genève par la Commission internationale des juristes et la Com-
mission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) de la République française, Oui à la
justice, non à l’impunité
3 E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1.
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