La liberté syndicale dans l’industrie de la confection au Bangladesh, ou la schizophrénie de la réglementation du travail

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12165
Published date01 September 2020
Date01 September 2020
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 3
La liberté syndicale dans
l’industrie de la confection au
Bangladesh, ou la schizophrénie
de la réglementation du travail
Mia Mahmudur RAHIM* et Samidul ISLAM**
Résumé. La liberté syndicale est indispensable à l’institution syndicale. Au Ban-
gladesh, les dispositions qui protègent déjà ce principe restent inopérantes dans la
confection. Les autorités doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre législatif capable
de promouvoir la syndicalisation dans le secteur. Pour les auteurs, ce cadre devrait
mobiliser les compétences et ressources complémentaires des différents acteurs
en présence (État, industriels locaux, syndicats et marques internationales) et les
amener à s’engager et agir sur le long terme pour améliorer la situation des re-
lations professionnelles dans l’industrie de la confection au Bangladesh, à la fois
sous l’angle socio-économique et sous l’angle politique.
Mots-clés: liberté syndicale, droit au t ravail, synd icalisme, ha billement, régle -
mentation d u travail, pays à forte intensité d e main-d’œuvre , Bangladesh.
1. Introduction
Depuis l’eondrement meurtrier du Rana Plaza en 20131, le gouvernement
du Bangladesh, les industriels locaux, les organisations internationales et les
grandes enseignes ont lancé plusieurs programmes visant à améliorer la situa-
tion de la main-d’œuvre locale (Croucher et coll., 2019; Donaghey et Reinecke,
2018). Si ces initiatives ont amélioré les conditions de sécurité dans un petit
nombre d’établissements industriels, elles n’ont rien fait ou presque pour pro-
mouvoir certaines institutions essentielles du monde du travail, notamment le
syndicalisme, dans l’industrie de la confection (Khan et Wichterich, 2015; Sin-
kovics, Hoque et Sinkovics, 2016; Zajak, 2017). Dans le pays, cette industrie est à
*Faculté de droit, Université de Nouvelle-Angleterre; miamahmud@gmail.com (auteur réfé-
rent). **Bangladesh Judicial Service; sksami2003@gmail.com.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs, et
leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Le Rana Plaza était un édice qui abritait plusieurs ateliers de confection au Bangladesh. Le
24 avril 2013, le bâtiment s’est écroulé. Cet accident du travail, le plus meurtrier jamais survenu
dans le pays, a fait 1 134 morts et plusieurs milliers de blessés. On trouvera des informations com-
plémentaires sur cet événement dans Gomes (20 13) et Rahim (2017).
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l’origine de 80pour cent des recettes d’exportation, et elle emploie 4millions de
travailleurs, répartis entre 5000usines (BIT, 2016). Sur l’ensemble de ces usines,
seules 2 à 10pour cent ont un syndicat enregistré. Parmi ces syndicats, 1 sur 10
seulement est actif, et 1 sur 5 a été créé à l’initiative du chef d’entreprise (CSI,
2017; Moazzem, Ahmed et Islam, 2015).
Comme dans d’autres pays en développement à forte intensité de main-
d’œuvre, la qualité médiocre du travail dans la branche vient de ce que l’orga-
nisation des relations professionnelles est abandonnée aux forces du marché,
parfois au mépris des droits fondamentaux du travail. Ce régime dépendant du
marché
2
crée un rapport de force défavorable aux travailleurs, d’autant plus que
le chômage tend à augmenter, que la population active est très jeune et fémi-
nine, et qu’il n’y a pas beaucoup d’autres sources de revenu (Reinecke et Dona-
ghey, 2015). Dans ce contexte, le travailleur qui se livre à des activités syndicales
s’expose à certains risques, celui d’être licencié notamment et de connaître des
périodes de chômage ou de sous-emploi prolongées (Anner, 2015), et les em-
ployeurs comme les pouvoirs publics ont les moyens de faire obstacle à l’exer-
cice de la liberté syndicale. Les entrepreneurs du secteur de la confection sont
généralement guidés par leurs seuls intérêts personnels. La liberté syndicale ne
représente rien à leurs yeux (Belal et Roberts, 2010; Anisul Huq, Stevenson et
Zorzini, 2014), et ils n’hésitent pas à intervenir pour empêcher la formation d’or-
ganisations formelles3. On sait que la protection, par la loi, de la liberté syndicale
et de son exercice est essentielle pour les classes ouvrières non organisées. Pour-
tant, au Bangladesh, le gouvernement n’a jamais aché de position claire sur
ce point dans le cas particulier de la confection (Locke, 2016; E. Hossain, 2013a
et 2013b; F. Hossain, 2013). Il reste plutôt passif sur la question syndicale, remet-
tant toujours à plus tard l’adoption des mesures qui seraient nécessaires pour
empêcher la multiplication des syndicats «maison», créés par les chefs d’entre-
prise pour dénaturer le mouvement syndical4. Ainsi, la dernière réforme de la
loi sur le travail de 2006 n’a pas débouché sur l’adoption de dispositions claires
et contraignantes sur le sujet. Ce texte, ainsi que son règlement d’application de
2 Anner distingue plusieurs types d’organisation du marché du travail: a) les régimes dans
lesquels c’est l’État qui organise les aspects relatifs au travail, de façon autoritaire; b)les régimes
dans lesquels ces questions sont abandonnées au marché; et c) les régimes dans lesquels elles dé-
pendent des employeurs. Le Bangladesh relèverait de la catégorieb) (2015, p.17). En général, dans
ce type d’organisation, «le marché exerce son pouvoir coercitif en faisant pression sur les ouvriers,
qui acceptent de travailler dans des conditions médiocres parce qu’ils savent qu’ils sont faciles à
remplacer» (Zajak, 2017, p. 1011). Il faut souligner que la population active du Bangladesh est pas-
sée de 56 ,1millions d’actifs en 2010 à 66,6 4millions en 2017, et que le taux de chômage augmente
également, puisqu’il a grimpé de 3,37 à 4,37pour cent entre 2010 et 2017. On se reportera à Anner
(2015) et Zajak (2017) pour plus d’informations sur ces aspects.
3 On a fait état à cet égard d’actes de torture, mais aussi d’augmentations de salaire tempo-
raires, de primes ou de taux préférentiels pour les heures supplémentaires et de pratiques consis-
tant à orir des pots-de-vin ou des promotions aux dirigeants syndicaux. Pour un complément
d’information, voir BIT (2015a), Labowitz et Baumann-Pauly (2015), Welford et Frost (2006) et Umar
(2004).
4 Ces syndicats maison, parmi lesquels il faut ranger les comités d’entreprise, ne jouissent pas
vraiment du soutien de la main-d’œuvre. Leur contribution à la sécurité et au bien-être des travail-
leurs est à la fois discutable et négligeable. On trouvera une analyse plus détaillée sur ce point dans
Khan et Wichterich (2015).

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