The Foreign Investment Case Law’s Contribution to the Development of General International Law

AuthorMathias Forteau
PositionProfesseur à l’Université Paris X-Nanterre
Pages12-39

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Chacun sait1 tout ce que le droit international général, dans sa forme actuelle, doit à «l’âge d’or» de l’arbitrage in ternational3. La codification du droit de la responsabilité internationale des Etats en porte à elle seule un témoignage exemplaire4.

Depuis l’institution d’une juridiction internationale permanente (la Cour permanente de Justice internationale en 1919, à laquelle a succédé en 1945 la Cour internationale de Justice), les internationalistes ont naturellement eu tendance à privilégier les décisions des Cours de La haye pour y déceler les évolutions de leur matière. Leurs «grands» arrêts sont devenus incontournables, et si les étudiants en subissent désormais les délices, c’est de manière tout à fait justifié epuisqu’«[a]u fil des années, la Cour, en interprétant de nombreuses règles dans différents domaines du droit international, a éclairci leur contenu et leur portée et a contribué d’une manière substantielle au développement du droit international»5. Plus enthousiaste encore, mais avec l’esprit provocateur qu’on lui connaît, Alain Pellet va jusqu’à voir dans l’organe judiciaire principal des Nations Unies un véritable «législateur mondial» qui, «dans le monde actuel, est sans doute le plus inattendu mais aussi le plus efficace des organes susceptibles d’adapter le droit aux nécessités changeantes de la vie internationale»6.

Que la maîtrise de la jurisprudence des deux Cours de La haye soit devenue à ce point indispensable pour la pratique comme pour la compréhension du droit international contemporain ne signifie toutefois pas qu’elle y suffise. Dans un or-dre juridique marqué depuis plusieurs années par un phénomène remarquable de «fragmentation» du droit et de «prolifération» des juridictions7, les sources jurisprudentielles du droit international général se sont inévitablement diversifiées. On pourrait même se demander si leur importance respective ne s’est pas inversée avec le temps. tandis que le style judiciaire des arrêts de la Cour internationale de Justice est devenu éminemment casuistique, empêchant de plus en plus l’identification d’une authentique jurisprudence, à l’inverse, de très intéressantes questions de droit international général sont de plus en plus souvent débattues devant des juridictions au contentieux pourtant (très) spécialisé. Cela contraint du même coup l’internationaliste à une saine gymnastique puisqu’il lui faut désormais s’orienter dans plusieurs directions à la fois, au lieu de puiser à une source unique, lorsqu’il souhaite, sur une question donnée, connaître ou établir l’état du droit international général8.

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Le constat vaut tout particulièrement aujourd’hui pour les juridictions arbitrales internationales intervenant dans le domaine des investissements étrangers (les tribunaux CIRDI, bien sûr9, mais ceux-ci ne sont pas les seuls impliqués10). Cause ou effet d’ailleurs (sans doute l’une et l’autre), l’ampleur prise par les questions de droit international général dans le contentieux des investissements étrangers s’observe sur un plan sociologique par la présence de plus en plus fréquente dans le prétoire de ces juridictions, comme avocats ou comme arbitres, d’internationalistes «généralistes», pour beaucoup d’entre eux habitués de la Cour internationale de Justice pour y avoir siégé ou y avoir plaidé11.

De cette évolution, la doctrine internationaliste n’a pris acte que très récemment. Parmi les précurseurs, il faut citer Geneviève Bastid-Burdeau dont le cours – malheureusement non publié – dispensé en septembre 2005 dans le cadre des Cours euroméditerranéens Bancaja de droit international portait sur l’«Arbitrage transnational et [le] droit international public»12. Exactement au même moment, Charles Leben, dans un article prophétique, interpellait les internationalistes en les appelant à «prendre conscience [que] le droit international, le vieux droit des gens de Grotius, connaît un essor nouveau dans le domaine des relations économiques internationales»13. Quelques études anglo-saxonnes se sont depuis inscrites dans ce mouvement14 et il faut saluer par ailleurs l’heureuse initiative de l’Annuaire français de droit international qui accueillera bientôt une chronique de recension des aspects de droit international général présents dans le contentieux des investissements étrangers15. si les petits ruisseaux font les grandes rivières, il y a loin cependant avant qu’ils ne se transforment en de paisibles fleuves au cours bien maîtrisé. Dans l’état actuel de la littérature juridique, un vaste champ de recherches s’ouvre ainsi aux internationalistesPage 14désireux de redécouvrir leur discipline à la lumière d’une jurisprudence arbitrale de plus en plus volumineuse.

C’est dans cette perspective qu’a germé l’idée de consacrer notre contribution aux International Law Winter Courses de Belo horizonte à «la contribution de la jurisprudence arbitrale relative aux investissements étrangers au développement du droit international général». Dans le cadre restreint qui est le sien, il ne saurait être question évidemment d’épuiser l’analyse d’une pratique arbitrale immensément riche. Il s’agira seulement d’en souligner les principaux aspects pour mieux faire ressortir la dynamique générale qui l’anime.

De ce point de vue, deux tendances fortes, antinomiques à certains égards, frappent le lecteur régulier des sentences rendues par ces juridictions arbitrales dans leur rapport avec le droit international général: d’une part, le souci de ces juridictions de mettre leurs pas dans ceux des juges interétatiques classiques; d’autre part, la manière originale dont celles-ci appréhendent et mettent en œuvre les règles de droit international général. En conséquence de la nature particulière des litiges portés devant elles (litiges de nature mixte ou même «hybride»16, qui opposent systématiquement un individu, l’investisseur étranger, à un Etat, dont la responsabilité est recherchée), ces juridictions contribuent en effet autant à la consolidation du droit international général

(I) qu’à sa réorientation (II).

1. La consolidation du droit international général

Que les tribunaux arbitraux statuant dans le domaine des investissements étrangers aient fréquemment l’occasion de trancher des questions de droit international général n’a rien de surprenant.

Puisque dans la majorité des cas aujourd’hui la réclamation introduite devant eux porte sur l’allégation de violation d’un traité par un Etat (les traités bilatéraux d’investissement constituent de nos jours la source principale des obligations dues aux investisseurs étrangers17), le droit primaire comme les règles secondaires du droit international entrent inévitablement en jeu. Même lorsque d’ailleurs le litige porte sur l’application d’un contrat d’Etat, les tribunaux arbitraux n’hésitent plus aujourd’hui à en soumettre directement le régime au droit international public sans estimer devoir s’en justifier longuement18.

Il serait vain, par ailleurs, de vouloir doter le droit international des investissements d’un particularisme irréductible. Cette branche du droit, si spéciale soit-elle, «is not to be read in isolation from public international law»19; comme le reconnaissentPage 15les juridictions intéressées, «[i]nternational law is not a fragmented body of law as far as basic principles are concerned»20.

De fait, ces tribunaux arbitraux manifestent une très nette volonté d’inscrire leurs décisions dans la lignée de la jurisprudence interétatique classique, là où on aurait pu s’attendre, compte tenu de la nature mixte de leur contentieux, à ce qu’ils se réfèrent plutôt à la jurisprudence de juridictions connaissant elles aussi de réclamations individuelles (les juridictions des organisations économiques régionales, ou les juridictions compétentes en matière de droits de l’homme, par exemple). La démarche, qui doit être saluée en ce qu’elle réduit les risques de fragmentation du droit international, leur permet du même coup de renforcer l’autorité des règles internationales générales (A) tout autant que d’en préciser la portée (B).

A Le renforcement de l’autorité des règles du droit international général

En payant leur tribut au droit international général, et notamment à la jurisprudence des deux Cours de La haye dont les décisions sont très fréquemment sollicitées, les tribunaux arbitraux escomptent sans doute renforcer leur autorité en se plaçant sur un pied d’égalité avec le juge interétatique. toujours est-il que par ce biais, l’assise des règles consacrées par ce dernier s’en trouve renforcée, à un double titre: d’abord par le phénomène de citation et d’application de la jurisprudence interétatique (l’accumulation, on le sait, produisant son effet juridique, comme le démontre le mécanisme coutumier), ensuite par le processus de fécondation mutuelle qui en découle. Ainsi l’emprunt se fait-il à l’avantage réciproque du droit international général et des tribunaux compétents dans le domaine des investissements étrangers:

«This process of cross-fertilization in the development of the customary standards through the treaty jurisprudence saves general international law from being cast in aspic at some earlier point in time; and saves treaty tribunals from isolation and inconsistency» 21 .

1. De très nombreuses sentences pourraient être citées pour illustrer le premier point (le phénomène de citation et d’application de la jurisprudence...

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