La réforme du droit pénal estonien dans le contexte des réformes pénales survenues en europe et spécialement en europe de l’est

AuthorJean Pradel
Position47-54

Jean Pradel

La réforme du droit pénal estonien dans le contexte des réformes pénales survenues en europe et spécialement en europe de l'est

Dcs les années 1945 jusqu'aux années 1990, l'Europe avait été divisée pénalement (et pas seulement pénalement) en deux "blocs" séparés par ce que Churchill avait appelé un "rideau de fer" qui coupait l'Allemagne en deux et se prolongeait au Sud de celle-ci: a l'Ouest s'appliquait une codification pénale "libérale", faisant de l'homme une valeur premicre; a l'Est, existait une codification "socialiste" issue de la doctrine marxiste qui, selon Lénine, faisait du droit pénal un instrument parmi d'autres au service de l'ordre collectiviste, la personne n'étant plus qu'une valeur seconde. Trcs révélateur de cet état d'esprit était le préambule du Code pénal d'Allemagne de l'Est de 1968 ol l'on pouvait lire notamment "... Le droit pénal, en tant que partie du droit socialiste unifié, a le devoir de protéger l'ordre socialiste, étatique et social en mzme temps que les droits et intérzts des citoyens contre les actes criminels, en particulier contre les atteintes criminelles, contre la paix et la République démocratique allemande"1. Beaucoup d'autres Codes pénaux de l'Est contenaient des proclamations identiques.

Aprcs que le "mur de Berlin" se fut déchiré en 1989 et que, par voie de conséquence, le "rideau de fer" eut été relevé, les pays de l'Europe de l'Est changcrent de Code pénal. C'est ainsi que l'Estonie en 2001 adopta un nouveau Code qui est en vigueur depuis le 1er septembre 20022. Il est intéressant par conséquent de rechercher comment se situe ce Code par rapport aux autres nouveaux Codes européens, notamment ceux de l'Est. On tentera cette démarche, non avec tous les Codes, ce qui eut été difficile et sans doute de peu d'intérzt, mais avec certains Codes, ceux de la Russie, de la Lettonie et de la Pologne tous de 1997 (trois pays trcs proches de l'Estonie), ceux de la Croatie de 1997 et de la Slovénie de 1995 (trois pays qui, tout en ayant fait partie eux aussi du "bloc" de l'Est, sont plus éloignés de l'Estonie). En outre, des rapprochements seront faits avec d'autres Codes européens, surtout avec ceux d'Allemagne et de France.

Un premier trait apparait. C'est dans tous les Codes d'Europe de l'Est la disparition de la proclamation de principe évoquée plus haut, a propos du Code de l'Allemagne de l'Est3. Figurent désormais - quand elles figurent - des proclamations individualistes. Ainsi, l'article 2 du Code russe de 1997 décide-t-il: "L'objectif du présent Code est le suivant: protection des droits et libertés de l'homme et du citoyen, de l'environnement, du régime constitutionnel de la Fédération de Russie contre les atteintes criminelles, sauvegarde de la paix et de la sécurité de l'humanité, prévention de crimes"4. Rien de tel, certes, dans le Code pénal estonien, mais l'idéologie sous-jacente est bien la mzme.

La remarque n'est pas innocente. Le primat de l'homme sur le collectif apparait d'abord sur le plan de la partie spéciale des Codes pénaux. Le Code estonien traite d'abord les infractions contre l'humanité et contre la personne et n'aborde qu'a la fin les infractions contre l'Etat. C'est la mzme chose dans les Codes russe, polonais, croate, slovcne et franeais. Ensuite, partout les infractions contre la personne sont les plus punies.

Toujours en considérant la partie spéciale des Codes, les incriminations sont trcs proches ici et la. Sans doute peut-on noter des différences: le législateur estonien n'a pas cru devoir incriminer dans le Code pénal le terrorisme et l'association de malfaiteurs qu'a retenu par exemple le législateur russe. Mais dans l'ensemble, les types pénaux sont trcs proches ea et la. On observera que le code estonien contient une incrimination sur la fraude en maticre d'investissements (art. 211) qui, étant largement coneue, peut s'appliquer a la fraude communautaire, que connaissent certains codes occidentaux comme ceux d'Allemagne et d'Italie.

Le plus intéressant reste la question du droit pénal général. Dans le Code pénal estonien, la partie générale comporte 87 articles se répartissant en chapitres consacrés respectivement a des "dispositions générales" (11 articles), a "l'infraction" (32 articles), aux "types de peines et a leur gravité" (12 articles), au "prononcé des peines" (66 articles), a "la dispense de peine" (8 articles), a "la prescription" (2 articles), enfin aux "autres mesures de sureté" (5 articles). Tous ces chapitres se rattachent en réalité et en simplifiant a deux concepts celui d'infraction et celui de sanction dont il faut considérer les principaux aspects.

1. La theorie de l'infraction

Faut-il rappeler que l'infraction n'existe que si elle est prévue par une loi? En le décidant, l'article 2 du Code estonien consacre le principe de légalité qui existe partout et qui exclut l'interprétation analogique, assez peu pratiquée d'ailleurs dans le droit soviétique. Il n'y a pas lieu d'insister.

Théorie d'une robuste complexité, l'infraction doit ztre abordée a trois égards.

1.1. La notion d'infraction

Abstraitement, l'infraction appelle une définition et, concrctement, les législateurs ont créé des distinctions au sein de l'infraction.

Faut-il définir l'infraction? Les rédacteurs du Code pénal ne l'ont pas cru et l'on pourra les en féliciter car une telle opération est inutile, appartenant a la doctrine. Pourtant, certains Codes donne une définition de l'infraction, en général pour en souligner le caractcre étroit. Ainsi, l'article 1 du Code croate prévoit que "les délits et les sanctions pénales ne sont prévus que pour les comportements qui menacent ou atteignent les libertés individuelles et les droits de l'homme" (al. 1) et parle ensuite de "l'indispensabilité de la répression pénale" (al. 2). De faeon voisine, l'article 2 du Code slovcne décide que "le recours a la loi et a la sanction pénale n'est justifié que s'il n'est pas possible de garantir par d'autres voies la protection de la personne et des autres valeurs fondamentales". De telles propositions n'apportent pas grand chose. Plus intéressante est la définition apportée par le Code russe en son article 14: celui-ci, aprcs avoir réputé crime "l'acte fautif socialement dangereux" indique que "n'est pas un crime l'action (ou inaction) qui, bien que formellement, comporte les éléments d'un acte quelconque prévu par le présent Code, n'offre cependant en raison de son peu d'importance aucun danger social, cet acte n'ayant pas causé de dommage ou n'ayant pas menacé d'un dommage la personne, la société ou l'Etat", ce qui laisse a la magistrature un pouvoir important de qualification. Plusieurs législations consacrent d'ailleurs ce principe5. Il n'y a pas lieu d'insister et plus utiles sont les distinctifs de l'infraction.

Au XIXcme siccle, sous l'influence du Code pénal franeais de 1810, presque tous les droits d'Europe avaient consacré une division trinitaire (crimes, délits et contraventions), fondée sur la nature et la gravité de la peine. Aujourd'hui, ce schéma est en recul, le dualisme s'étant substitué a la trilogie.

Le Code estonien est parfaitement dans le droit fil de cette évolution. Selon son article 3, "les infractions pénales sont classées en crimes et contraventions". Toutefois, l'article 4 sous-distingue entre crimes du premier degré (passibles d'une privation de liberté de plus de cinq ans) et crimes du second degré (passibles d'une privation de liberté inférieure a cinq ans), ce qui, sans le dire, pérennise la vieille trilogie franeaise. La présentation est trcs proche en Lettonie: a la dualité entre délits et crimes s'ajoute pour ces derniers une sous-distinction entre crimes peu graves (passibles d'une peine comprise entre deux et cinq ans), crimes graves (passibles d'une peine comprise entre cinq et dix ans) et crimes spécialement graves (passible d'une peine supérieure a dix ans). Le Code russe est plus complexe encore avec ses quatre catégories de crimes (de gravité mineure, de gravité moyenne, de gravité caractérisée et de gravité particulicre) (art. 15).

Mais en dépit de ces distinctions, toutes les infractions ont en gros la mzme structure.

1.2. La structure de l'infraction

Selon l'article 2 du Code estonien, "un acte est punissable si les éléments d'une infraction sont réunis, si cet acte est contraire a la loi et si l'auteur en est reconnu coupable", ce qui fait apparaitre trois notions qui sont d'ailleurs autant de sections dans le Chapitre II de la Partie générale, intitulé "L'infraction".

S'agissant des éléments de l'infraction; sa composante matérielle pose moins de difficultés que sa composante morale ou psychologique.

L'élément matériel, rappelle l'article 12, est constitué par une action ou par une omission. Rien d'original ici. Ce qui est plus intéressant, c'est que l'article 13 consacre la théorie de la commission par omission en décidant "qu'une personne ne peut ztre punie pour une omission qu'au cas ol elle aurait été obligée par la loi d'empzcher les effets d'une infraction tels qu'ils sont décrits par la loi". C'est ici l'influence allemande qui se fait sentir. L'auteur passif qui occupe la "position de garant" (H. Jescheck) se voit imposer l'obligation d'empzcher un certain résultat de sorte qu'en ne faisant rien, il commet une véritable commission. Le Code croate décide a peu prcs la mzme chose en son article 25 qui se lit ainsi: "Le délit est commis par omission quand l'auteur qui est juridiquement obligé d'empzcher un fait incriminé par la loi omet de le faire, ladite omission étant par ses effets équivalente a la commission du délit par voie d'action". La solution est la mzme en Slovénie et en Pologne, mais pas en Russie ol...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT