Des approches innovantes pour assurer l'accès des travailleurs domestiques au travail décent en Côte d'Ivoire: ce que l'administration du travail et le système judiciaire ont pu faire dans le cadre du régime général du Code du travail

Published date01 March 2019
Date01 March 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12110
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 1
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Professeure de droit, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit transnational
du travail et développement, directrice du Laboratoire de recherche sur le droit du travail et le dé-
veloppement, faculté de droit, Université McGill, Canada; adelle.blackett@mcgill.ca (auteure prin-
cipale). ** Maître de conférences à la Faculté de droit de l’Université Félix Houphouët-Boigny,
membre de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance, Abidjan; astakone2a@yahoo.fr. Les
travaux sur lesquels le présent article est fondé ont été nancés par une petite subvention pour
l’innovation en recherche du Centre de recherches pour le développement international (CRDI).
Les entretiens ont été menés par les deux auteures. L’article a été rédigé par l’auteure princi-
pale, en consultation avec sa coauteure. Toutes deux tiennent à remercier leurs interlocuteurs de
leur disponibilité et des éléments d’information et d’appréciation précieux qu’ils leur ont livrés.
Elles remercient également Gabriela Medici, Aristide Nononsi, Claire Thompson, les participants
à la conférence inaugurale du Centre africain du travail tenue à Cotonou (Bénin) en décembre
2015, les participants au colloque sur le droit du travail et le développement organisé en marge du
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e
Congrès annuel de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) tenu à l’Université McGill
à Montréal (Canada) en mai 2017 et les lecteurs anonymes pour leurs commentaires utiles. Enn,
elles remercient chaleureusement Marie-Alice Remarais, Marion Rebière, Marion Sandilands et
Yéfoungnigui Silué de leur concours.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Des approches innovantes pour assurer
l’accès des travailleurs domestiques
au travail décent en Côte d’Ivoire: ce que
l’administration du travail et le système
judiciaire ont pu faire dans le cadre
du régime général du Code du travail
Adelle BLACKETT* et Assata KONÉ-SILUÉ**
Résumé. Peut-on assurer l’accès des travailleurs domestiques au travail décent
dans le cadre du droit général? Pour le savoir, les auteures procèdent à une ana-
lyse contextuelle de la jurisprudence ivoirienne (1971-2013) et s’entretiennent avec
des acteurs institutionnels du pays. Des pratiques innovantes apparaissent, qui dé-
coulent de l’intervention d’inspecteurs et de juges attentifs, agissant principalement
dans le cadre du Code du travail. Cependant, l’absence de réglementation spéci-
que pose certains problèmes, le travail domestique, travail «comme les autres»,
étant aussi un travail «à nul autre pareil». Les auteures appellent par conséquent
à la création d’une communauté du savoir internationale sur l’accès des travail-
leurs domestiques au travail décent.
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L’accès des travailleurs domestiques au travail décent, un objectif qui
ne relevait que de la solidarité transnationale autrefois, et encore ac-
cessoirement, constitue désormais une priorité pour la communauté interna-
tionale. L’Organisation internationale du Travail (OIT) s’est appuyée sur les
pratiques réglementaires innovantes d’un nombre croissant de pays partout
dans le monde (BIT, 2010; Blackett, 2012) pour adopter la convention (n
o
189)
et la recommandation (n
o
201) sur les travailleuses et travailleurs domestiques,
20111. Aux yeux de la communauté internationale, les travailleurs domestiques
n’étaient donc plus considérés comme des serviteurs, ou comme faisant partie
de la famille, mais bien comme des travailleurs à part entière. L’adoption de ces
deux instruments internationaux devrait inciter les acteurs, aux niveaux local
et transnational, à promouvoir l’application des normes qu’ils érigent dans un
large éventail d’États. Cependant, si le processus d’élaboration de ces textes a
contribué à mettre en lumière la dynamique du travail domestique, et si leur
adoption devrait conduire à la mise en place de dispositifs réglementaires, on
peut craindre qu’ils ne fassent qu’ajouter une couche législative à celles qui
existent déjà, sans atteindre les lieux où les conditions de travail des travail-
leurs domestiques se façonnent véritablement.
Le continent africain est le troisième employeur de travailleurs domes-
tiques dans le monde (BIT, 2013, pp. 21 et 33)2. Malheureusement, les connais-
sances sur la façon dont le travail domestique est encadré sont particulièrement
lacunaires pour la région. L’un des points de départ de notre analyse est que,
pour évaluer le degré d’application des normes, on ne peut se contenter d’exa-
miner la législation nationale, tant s’en faut, surtout s’il s’agit du droit général.
Dans notre article, qui porte sur la situation dans un pays concret, nous pro-
cédons à une analyse détaillée et contextuelle des dispositions réglementaires
qui commencent à apparaître dans les pays du Sud, dans un processus dans
lequel les travailleurs domestiques ont joué un rôle de catalyseur3.
La Côte d’Ivoire est un cas typique de système dans lequel l’accès au
travail décent des travailleurs domestiques dépend du Code du travail général
(Koné-Silué, 2014)4. Dans leur article2, les codes du travail de 1995 et 2015
dénissent le «travailleur, ou salarié», comme toute personne physique, quels
que soient son sexe, sa race et sa nationalité, qui s’est engagée à mettre son
1 La Conférence internationale du Travail a adopté ces deux instruments le 16 juin 2011, à
sa 100e session. Voir la note introductive dans Blackett (2014).
2 La base statistique est extrêmement réduite en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est,
probablement parce que les travailleurs domestiques ne sont pas enregistrés comme travailleurs
dans les enquêtes sur la population active (BIT, 2013, p. 35).
3 On trouve une autre étude de cas (sur l’Afrique du Sud) dans Blackett et Tiemeni (2018).
4
La loi n
o
95/15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail de la République de Côte d’Ivoire
a été publiée au Journal ofciel de la République de Côte d’Ivoire (JORCI) le 23février 1995; elle
était en vigueur pendant toute la période visée par la présente étude. Le 20juillet 2015 a été adop-
tée la loi no201 5-532 portant création d’un nouveau Code du travail; cette loi a été publiée le
14 septembre 2015 et est actuellement en vigueur, sous réserve de l’adoption des décrets qu’elle
prévoit. La présente étude se concentre sur l’application du Code du travail de 1995, mais comporte
quelques références au Code du travail de 2015. La convention collective interprofessionnelle du
19 juillet 1977 est toujours en vigueur également. Voir Koné-Silué (2014, pp. 14 à 17).

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